ABAT-JOURISTE
Zähner Laurence | Vaud
Dans son vaste atelier baigné de lumière naturelle, Laurence Zähner imagine et confectionne de quoi sublimer nos éclairages. Son métier? Abat-jouriste. Une profession ancienne qu’elle exerce de manière très contemporaine.
Il est curieux de constater combien la définition de certains mots semble étrangement décalée par rapport à la réalité qu’ils recouvrent. Abat-jour: Dispositif destiné à rabattre la lumière d’une lampe. Réduire l’objet à sa seule fonction utilitaire reflète-t-il le véritable sens que revêt, de nos jours, le terme en question? Pour faire toute la lumière sur le sujet, il faut se rendre à Essertines-sur-Yverdon.
C’est là que se niche La Robellaz. À la fois lieu de vie, atelier et galerie d’exposition, cette ferme vaudoise du XVIIIe siècle restaurée avec soin distille un charme à l’anglaise. La maîtresse des lieux, Laurence Zähner, y cultive son amour des plantes, omniprésentes. Une passion pour la nature et les végétaux que cette ancienne avocate parisienne transformerait volontiers, dans une prochaine vie, en activité professionnelle.
Elle a pourtant fait sien un tout autre univers, il y a plus de deux décennies déjà: la confection d’abat-jour. Un choix peu commun, tant les artisans exerçant un tel savoir-faire s’avèrent rares et l’image que véhicule l’activité plutôt vieillotte.
« Avant de rencontrer un professionnel du secteur, la plupart des gens n’imaginent pas les possibilités qu’offre aujourd’hui cette activité. Le temps du cylindre sans âme et volontiers ringard est révolu! Le problème, ici comme ailleurs du reste, consiste à trouver un artisan disposant d’un réel savoir-faire. En Suisse, nous sommes moins de cinq à offrir un service complet », déplore la Vaudoise d’adoption. Un marché de niche, de surcroît largement mésestimé.
Impossible d’imaginer en effet la diversité des réalisations de Laurence Zähner sans franchir la porte de son atelier. Formes, tailles, matériaux utilisés, ornements, finitions; l’offre réalisée en sur-mesure par la professionnelle, à l’enseigne de VdeV Création, ne connaît pas de limite. C’est d’ailleurs cette diversité qui attire, outre les particuliers avisés, de nombreux professionnels qui ne trouvent pas leur bonheur dans les productions proposées par les industriels.
Cliniques privées, manufactures horlogères, hôtels, restaurants, boutiques de luxe, entreprises et même EMS découvrent avec l’abat-jouriste d’Essertines-sur-Yverdon une interlocutrice attentive à leurs besoins parfois très spécifiques. « Même pour des séries importantes, une approche artisanale permet de s’adapter aux désiderata des clients, de réaliser des prototypes grâce auxquels on peut aisément évaluer le rendu final d’une installation. »
Avant de disposer du savoir-faire et de la reconnaissance qui sont les siens aujourd’hui, Laurence Zähner a pourtant dû batailler. Pour faire reconnaître la valeur de sa profession, tout d’abord. « Il y a désormais de la bienveillance à l’égard des métiers d’art, de l’estime même. Ce n’était pas le cas lorsque j’ai démarré dans cette activité. Mes camarades du barreau me demandaient, de manière condescendante, ce que j’allais bien pouvoir faire dans ma vie avec un pareil métier. »
Un premier écueil doublé d’une difficulté à se former, aucune filière d’apprentissage n’étant proposée, en Suisse comme en France. C’est ainsi auprès d’un artisan disposé à partager ses connaissances qu’elle se tourne, après des mois d’une longue quête. « Véronique, une professionnelle autodidacte, m’a transmis tout ce qu’elle savait. J’ai complété cet inestimable trésor par moi-même, en cherchant depuis à surmonter chaque difficulté technique rencontrée.»
Laurence Zähner explorant sans cesse de nouvelles voies, les défis s’avèrent nombreux. Sa galerie d’exposition en témoigne d’ailleurs: elle ne présente que des pièces uniques. Lustre ornementé d’un galon provenant du dernier défilé d’Yves Saint Laurent et d’oiseaux soufflés bouche aux Etats-Unis, élégant abat-jour gris perle en forme de corset sur lequel un ruban de soie est délicatement noué ou encore suspension monumentale aux lignes épurées.
Chaque réalisation témoigne d’une approche créative sans cesse renouvelée, débouchant parfois sur des pièces aussi originales qu’inattendues. À l’image de cette réalisation asymétrique et décentrée, coiffée de plumes, que l’on pourrait prendre pour un très distingué chapeau féminin.
Laurence Zähner s’appuie, dans son travail quotidien, sur plus de 1’000 patrons qu’elle a développés au fil du temps. « Ils constituent la base à partir de laquelle je développe chaque création. La construction d’un abat-jour nécessite une grande rigueur et une technique bien rodée. Le moindre écart se voit au montage, nécessitant de repartir de zéro. Ça n’a l’air de rien, mais passer de deux à trois dimensions avec des formes complexes peut rapidement virer au casse-tête. »
Ce qui étonne, en revanche, c’est le peu d’outils utilisés nécessaires à la confection des abat-jour. Un couteau électrique, des ciseaux, quelques équerres, règles et autre compas, un massicot. «Mes outils de précision, ce sont mes ongles, grâce auxquels je peux travailler au millimètre près.»
Les réalisations les plus simples - et aussi les moins coûteuses, avec un prix moyen avoisinant les CHF 200.- environ - nécessitent à peine deux heures de labeur. Il s’agit d’abat-jour rigides, confectionnés à partir d’une matière souple contre-collée sur un support rigide, généralement une matière plastique. Les abat-jour dits « couture », quant à eux, s’avèrent bien plus longs à élaborer. « Dans ce cas, la matière est découpée en une multitude de pièces qu’il faut ensuite minutieusement assembler par couture. Même pour une réalisation de taille réduite, la présence de nombreux plis nécessite plusieurs mètres de tissu. »
On touche là à l’excellence, bien sûr. De la haute-couture pour luminaire. Ce qu’architectes d’intérieur et décorateurs renommés recherchent pour embellir et personnaliser les espaces qui leur sont confiés. « Collaborer avec des professionnels reconnus constitue une chance exceptionnelle. Ils m’ouvrent les portes de chantiers passionnants et, en retour, je leur amène mon expertise et celles des artisans avec lesquels je travaille. »
Laurence Zähner développe en effet de nombreuses complicités avec d’autres professionnels pour mener à bien les projets sur lesquels elle est amenée à oeuvrer. Fabricant de carcasses, un métier indispensable à l’abat-jouriste pour lequel il élabore les structures métalliques des réalisations, ébénistes, bronziers, doreurs, créateurs de tissus, parcheminiers; autant d’artisans aux savoir-faire précieux lorsqu’il s’agit de s’aventurer sur les chemins exigeants de la création et du sur-mesure.
Cette quête de l’excellence est-elle rentable? « Non », répond sobrement Laurence Zähner, dont les commandes s’enchaînent pourtant. Raison pour laquelle elle développe depuis plusieurs mois un ingénieux système permettant d’ajouter un abat-jour à des luminaires qui n’en ont pas, sans pour autant nécessiter de les démonter. « Idéal pour habiller une lampe existante ou pour faire évoluer, au fil du temps, son apparence, sans pour autant avoir à intervenir de manière trop conséquente sur la pièce en question. »
Ce dispositif, destiné avant tout aux clients professionnels, doit permettre à l’artisane vaudoise de renforcer l’attractivité de son offre pour des situations nécessitant une approche sur-mesure de grandes séries notamment. « L’objectif de ce projet novateur, développé avec un éclairagiste renommé, consiste à apporter une solution à la fois souple, car évolutive dans le temps, et facile à mettre en oeuvre, le changement d’abat-jour ne nécessitant qu’une poignée de secondes. »
Laurence Zähner n’abandonnera pour autant pas les réalisations uniques, bien au contraire. Elle n’a ainsi pas hésité récemment à engager une collaboratrice pour la seconder. Si la création nécessite en effet de longues heures, elle constitue néanmoins une inépuisable source de satisfaction. « Mon métier me mange tout mon temps, weekend compris. Et pourtant, je n’éprouve jamais la moindre lassitude. C’est un privilège rare, que j’apprécie quotidiennement!»