CHEMISIÈRE


Josefa Garcia Lozano | Genève

Niché entre le quartier huppé de Champel et la vieille-ville, à quelques encablures seulement du centre de la cité de Calvin, l’atelier-boutique de Josefa Garcia Lozano occupe deux belles arcades de bois blond, au rez-de-chaussée d’un élégant immeuble en pierre de taille. Sur la devanture, deux discrets macarons témoignent de l’appartenance de la maison au cercle restreint des artisans d’art.


Il suffit de pousser la porte pour en comprendre la raison. Ici, le temps semble suspendu. Seule compte l’excellence, que la maîtresse des lieux poursuit inlassablement. La confection de chemises n’a plus aucun secret pour elle. De la prise de mesures à la réalisation de boutonnières à la main, en passant par le patronage, la coupe, le montage et les finitions, l’artisane maîtrise parfaitement les savoir-faire nécessaires à toutes les étapes du processus.


« C’est ma grand-mère, Antonia Revenga Gil, qui m’a initiée dès mon plus jeune âge à la couture », confie Josefa Garcia Lozano, un large sourire accroché au visage. De nombreuses formations - modéliste et styliste notamment - viendront par la suite compléter cet enseignement transmis par son aïeule. Les innombrables diplômes accrochés aux murs de l’atelier en attestent: la confection sur mesure, pour homme et pour femme, ne s’improvise pas.


Pour s’en convaincre, il s’agit de suivre la réalisation d’une chemise. Six à dix heures, jamais moins: c’est le temps consacré par Josefa Garcia Lozano à la conception et la production du premier exemplaire pour chacun de ses clients. Les réalisations suivantes nécessitent quant à elles quatre à cinq heures « seulement », la prise de mesures - une douzaine en moyenne - et le patron étant déjà disponibles.


Les gestes sont précis, prompts mais jamais hâtés. Le maître chemisier s’empare d’une feuille de papier kraft afin de réaliser le patron. D’un trait de crayon, il dessine le contour de chaque pièce composant la future chemise, qui en compte une vingtaine au total. Ciseaux en main, il découpe ensuite chacune d’elles, avant de reporter leur forme sur le tissu choisi par le client. Pas n’importe comment, l’orientation des fils et des éventuels motifs devant être scrupuleusement respectée.


« C’est très important pour l’esthétique, évidemment, mais aussi pour prendre en compte l’élasticité naturelle de l’étoffe: les fils de chaîne et les fils de trame, qui en s’entrecroisant composent l’armure, réagissent différemment à la tension », précise Josefa Garcia Lozano.


À ce stade, l’artisane entreprend la découpe du tissu, puis procède au montage proprement dit de la chemise. C’est tout particulièrement à cette étape que son expertise devient essentielle à la bonne facture du produit final. Le parfait alignement des coutures, la précision de l’assemblage, la gestion des pinces et des plis, sans même évoquer la qualité des innombrables finitions, telles les boutonnières qui peuvent être réalisées à la main: chaque détail compte.


Avant que l’ouvrage ne soit totalement terminé, le client est convié à un essayage, suivi au besoin d’ajustements. Certaines morphologies, plus compliquées que d’autres, peuvent nécessiter une seconde séance afin que le tombé du vêtement soit parfait aux yeux de la chemisière.


Évidemment, un tel niveau de qualité a un prix, d’autant que la totalité du processus de production est réalisé dans l’atelier genevois de Revenga. Une chemise sur mesure coûte ainsi 300 francs au minimum. Mais l’addition peut monter en fonction du choix du tissu et des finitions.


« Nous ne proposons que des étoffes réalisées par des tisserands reconnus. Par exemple Alumo - une référence mondiale basée en Appenzell -, ou Carlo Riva, dont les tissus sont encore aujourd’hui produits de manière artisanale », précise Julio Pérez Garcia, l’un des deux fils de Josefa, engagé lui aussi - tout comme son frère David d’ailleurs - dans la bonne marche de Revenga et par ailleurs président de Label Genève, l’association genevoise des métiers d’art.


Le client dispose ainsi de pas moins de 3’000 références de tissu différents, dont des vintage désormais introuvables. Une gageure si le maître chemisier n’accompagnait pas, en cas de doute, les indécis pour les aider à faire leur choix. « En fonction du type de chemise et de l’utilisation prévue, on détermine un type de tissu et sa densité, ce qui resserre déjà la sélection. Au final, après les critères objectifs, ne reste plus que les aspects esthétiques, propres à chacun. »


Pour ceux qui le souhaitent, Revenga propose, en plus des chemises, différentes variantes: popover et polo pour les hommes, robes chemise flirtant avec la haute-couture pour les femmes. Sans oublier, depuis peu, une ligne de chemises réalisées entièrement en interne en demi-mesure. Son avantage? Basée sur un patron pré-existant, mais incluant tous les ajustements nécessaires, elle permet des économies d’échelle et, par conséquent, un prix plus serré: dès 240 francs.


Si nombre de banquiers, d’avocats et d’entrepreneurs notamment franchissent régulièrement la porte de Revenga, il serait faux d’imaginer que la belle chemise artisanale constitue leur chasse gardée. « Notre clientèle compte 30% de femmes, ce qui n’est pas rien, constate Josefa Garcia Lozano. Et je vois de plus en plus de jeunes, passionnés par l’élégance vestimentaire, qui n’hésitent pas à casser leur tirelire pour s’offrir à l’occasion quelques réalisations sur mesure. »


Outre le plaisir de porter un vêtement parfaitement taillé, entièrement réalisé à la main et localement, le calcul ne s’avère sans doute pas tout faux à l’heure où les considérations d’ordre environnemental et social pointent du doigt l’industrie du vêtement, mauvais élève en la matière.


« Chez nous, la durabilité n’est pas une veine promesse. Nous remplaçons poignets et cols de nos chemises lorsqu’ils sont usés. Elles peuvent ainsi accompagner fidèlement nos clients des années durant », déclare le maître chemisier, la passion du métier chevillée au corps.

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