FILIGRANISTE
Gogniat Noémie | Neuchâtel
Tout commence avec quelques fines plaquettes de métal précieux. De l’argent bien souvent, mais aussi de l’or à l’occasion, que Noémie Gogniat dispose dans un creuset en terre cuite. À l’aide d’un chalumeau dont elle règle l’intensité avec précision, la bijoutière fond la matière avant de la couler dans une lingotière. Commence alors un long et minutieux travail afin de transformer le bloc rectangulaire en un fil dont le diamètre avoisinera celui d’un cheveu.
Viendra ensuite le temps pour elle de le torsader, de le couper et de le plier minutieusement afin de donner naissance à des pièces d’orfèvrerie d’une finesse comparable à celle de la dentelle. Si les gestes assurés de la Jurassienne d’origine laissent penser qu’elle pratique ce savoir-faire de longue date, il n’en est rien. Il a même fallu un incroyable coup de pouce du destin pour qu’elle le découvre fortuitement, à des milliers de kilomètres de son atelier chaux-de-fonnier.
En 2016, Noémie Gogniat passe en effet par une profonde période de remise en question professionnelle. Après avoir terminé son apprentissage de bijoutière en 2009, travaillé pendant deux ans et demi à Einsiedeln au sein d’un atelier familial puis passé quatre ans auprès du célèbre fabricant d’automates François Junod, elle aspire à autre chose. « Je ne savais pas quoi au juste, précise-t-elle d’emblée. J’ai donc décidé de m’octroyer trois mois et de partir découvrir la Colombie. »
Son bon niveau d’espagnol, héritage d’un programme de maturité incluant l’apprentissage de cette langue, lui permet d’échanger au détour d’une ruelle de la vieille ville de Carthagène avec un artisan pratiquant la technique du filigrane, procédé qui l’interpelle. Le courant passe, et le jeune homme propose de la mettre dès le lendemain en contact avec son formateur basé à Santa Cruz de Mompox, capitale de la bijouterie colombienne. « Très rapidement, ce savoir-faire d’orfèvrerie m’a fasciné par la finesse et l’esthétique des pièces qu’il permet de réaliser », ajoute la presque quadragénaire.
Le lien de confiance qu’elle tisse rapidement avec Abraham Reyes Marīn, son maître de formation, et les membres de sa famille avec qui elle vit au quotidien lui permet d’acquérir progressivement tous les tours de mains de cette technique très spécifique. « Grâce à l’obtention d’une bourse de la Fondation Anne et Robert Bloch, j’ai pu me perfectionner durant neuf mois à ses côtés. Je rémunérais l’enseignement qu’il me prodiguait, ce qui était bienvenu pour lui. »
L’atelier de Noémie Gogniat, situé en plein coeur de La Chaux-de-Fonds, recèle quantité d’outils nécessaires à sa pratique. Car pour fabriquer en filigrane des bracelets manchette, des boucles d’oreilles, des pendentifs, des bagues et autres broches, l’attirail type du bijoutier classique ne suffit pas. « Lors de mon deuxième séjour en Colombie, j’ai eu l’occasion d’acquérir ou de fabriquer certains outils très particuliers et de les ramener ici, sans quoi je n’aurais pu exercer l’art du filigrane ».
Il faut voir avec quelle dextérité la filigraniste transforme la matière, du lingot d’alliage brut aux dernières finitions qui apporteront tout l’éclat au bijou terminé. Étape après étape, les gestes deviennent de plus en plus minutieux et délicats, évitant ainsi de rompre le fragile fil de matière. Du laminoir permettant la transformation du lingot en une longue barre, la matière passe en effet, à plusieurs reprises, à travers une filière qui la tréfile. Chaque passage réduit ainsi progressivement son diamètre, jusqu’à près de deux dixièmes de millimètre.
Puis vient la phase du travail ornemental, celui-là même qui confère ses lettres de noblesse à ce savoir-faire. L’artisane torsade le fil, le plie, l’enroule sur lui-même en fonction de la pièce qu’elle a préalablement dessinée. D’élégants motifs - caracoles, zigzag et autres tresses - apparaissent peu à peu, avant qu’une soudure finale, réalisée à partir d’une poudre de métal que l’artisane confectionne elle-même, vienne les figer définitivement.
Complexes, les réalisations de Noémie Gogniat nécessitent de nombreuses heures passées à la conception et à l’établi. Un temps que l’artisane, soucieuse de rester accessible au plus grand nombre, ne répercute pas toujours au niveau des prix qu’elle pratique. Les clous d’oreille s’affichent ainsi à une centaine de francs, alors qu’un bracelet manchette - une pièce très ouvragée - est facturé quant à lui moins de mille francs.
« En plus de réaliser des alliances et des bijoux sur mesure, il m’arrive parfois de partir de bijoux que des clients ne portent plus, de les fondre et d’en faire de nouveaux objets en filigrane. Le lien émotionnel avec le bijou originel est ainsi conservé à travers le métal utilisé. » À l’heure du surcyclage, voilà une initiative qui tombe à pic.
Son savoir-faire désormais parfaitement maîtrisé, la bijoutière ne cesse d’explorer de nouvelles pistes. En mêlant au filigrane des émaux, qui viennent apporter une touche de couleur bienvenue. En oxydant la matière première, pour en modifier l’apparence. Et, pourquoi pas, en appliquant sa pratique à l’horlogerie pour réaliser des cadrans en fils entrelacés. « Les champs d’application de cette technique s’avèrent nombreux et variés: c’est ce qui en fait tout l’intérêt! », s’exclame-t-elle.
Une raison de plus pour elle de se montrer très reconnaissante envers celui qui lui a transmis, en toute confiance, les secrets de son métier. « J’aimerais pouvoir un jour accueillir Abraham et sa famille en Suisse, tant ils ont été généreux envers moi. Ce serait pour moi l’occasion de les en remercier, de leur faire découvrir à mon tour mon univers. »
En attendant, la filigraniste prend place derrière son établi et ajuste ses lunettes. Elle saisit un lingot et s’apprête à le transformer, patiemment, en un nouveau bijou. Une dentelle aérienne de métal précieux va naître sous ses doigts habiles. D’un seul gramme d’or ou d’argent, elle peut en effet obtenir plusieurs mètres de fil. De quoi lui permettre d’écrire le prochain chapitre d’un savoir-faire quasiment unique en Suisse.