RESTAURATEUR AUTOMOBILE
Painset Thierry | Genève
Le long de la route, un vaste parking laisse apparaître en arrière-plan la façade métallique d’un bâtiment gris que seule la présence de nombreux ouvrants rythme. Rien d’étonnant dans cette zone industrielle et artisanale de la Pallanterie à Vésenaz, sur la rive gauche de Genève, qui compte nombre d’édifices du même type. Difficile d’imaginer que se cache, à l’arrière de cette construction anonyme, une adresse rare et précieuse que seuls quelques gentlemen drivers avertis se transmettent de bouche à oreille.
L’atelier de restauration automobile fondé par Thierry Painset voilà trente ans ne cultive pourtant pas l’entre-soi. Seulement une certaine discrétion. Les clients viennent chercher ici des savoir-faire devenus rares et une exigence absolue. « Je suis un grand maniaque, c’est infernal », confesse le maître des lieux. C’est précisément cette rigueur en tout qui séduit et rassure ceux qui font appel à ses services. Car en matière de restauration automobile, la confiance s’avère capitale.
Comment pourrait-il en être autrement dès lors qu’il s’avère souvent difficile, voire impossible, d’établir le moindre devis avant d’attaquer un chantier? « Réparer le cuir déchiré d’un siège, retendre un ciel qui s’affaisse ou remplacer la capote d’une voiture récente: voilà des travaux dont l’estimation se fait aisément. Il en va différemment avec la restauration complète d’un véhicule ancien, un travail beaucoup plus complexe. Dans ce cas, la confiance de nos clients est essentielle. Ils doivent pouvoir nous donner carte blanche sans que le moindre doute s’insinue dans leur esprit. »
De l’expérience, Thierry Painset n’en manque pas, et cela compte. Sellier-maroquinier et sellier-garnisseur de formation, il passe par le compagnonnage en France avant d’oeuvrer pendant sept ans au sein du bureau d’études de Renault. Il y conçoit les intérieurs des futurs modèles et développe ses connaissances au contact d’une équipe pluridisciplinaire, avant de poser ses valises à Genève et devient indépendant en 1992. Aujourd’hui, à bientôt 60 ans, il dispose à ses côtés d’une équipe d’artisans aux multiples compétences, à même de faire face aux situations les plus délicates.
Deux AC Cobra 427 originales - et non de simples répliques, comme il en existe beaucoup - trônent ainsi au coeur de l’atelier genevois depuis plus de deux ans. Des voitures de compétition extrêmement rares et mythiques, dont la valeur à sept chiffres justifie l’ampleur des travaux entrepris: au compteur, plus de 2’500 heures pour l’une, 1’500 pour l’autre. Une tâche titanesque qui mobilise toutes les compétences de l’atelier, et parfois même celles de partenaires externes. Car si Thierry Painset et ses hommes maîtrisent parfaitement nombre de sujets, ils connaissent aussi leurs limites.
« En qualité de maître d’oeuvre, il m’appartient de savoir ce qui sort de notre champ de compétence. Nous effectuons en interne l’essentiel du travail, et des spécialistes nous épaulent pour des tâches très spécifiques, comme la réfection des moteurs notamment. Cette opération nécessite une expertise très particulière dont nous n’avons pas besoin en interne en permanence; à moi de sélectionner le meilleur prestataire et de m’assurer que les critères de qualité qui sont les nôtres soient scrupuleusement respectés. »
Qui dit voiture ancienne, qui plus est de compétition, dit possibles accidents et modifications. Ce n’est que lors du démontage complet des véhicules que l’ampleur du travail à effectuer apparaît progressivement. Ce qui réserve son lot de surprises, évidemment.
Les diagnostics posés par l’artisan sur les deux AC Cobra 427 diffèrent grandement. L’une dispose de tous les organes mécaniques d’origine; leurs numéros de série en attestent. Châssis, moteur, transmission et même carrosserie sont ceux du véhicule à sa sortie d’usine, mais s’avèrent pour certains modifiés. L’autre exemplaire présente quant à lui un état moins reluisant. La carrosserie, mal restaurée en Angleterre, doit être intégralement retravaillée. Et les éléments mécaniques, troqués pour d’autres au cours de la longue et sans doute tumultueuse vie du véhicule, doivent être remplacés.
« Il faut bien comprendre que le souci de l’authenticité, tel qu’on l’entend actuellement, n’a pas toujours été présent dans l’esprit des propriétaires successifs de ce type de voitures. Certains d’entre eux, engagés dans une course effrénée à la performance, ont pu commettre ce qui nous apparaît aujourd’hui comme des sacrilèges. » Rendre à ces véhicules leur état originel - à quelques rares éléments personnalisés près - passe ainsi par une phase de recherche documentaire importante.
Littérature d’époque, forums spécialisés, sites Internet et même archives du constructeur lorsqu’elles existent encore; Thierry Painset y consacre bien des weekends. « Nous avons ainsi pu acquérir un moteur neuf chez Shelby, le préparateur historique de ces voitures, et certaines pièces chez des spécialistes américains. Il s’agit d’un jeu de piste certes chronophage, mais qui permet un strict respect de l’authenticité. »
Toutes les pièces non conformes à celles d’origine sont ainsi remplacées, les autres restaurées. « Il existe bien des reproductions pour certaines pièces, mais leur qualité s’avère bien souvent médiocre. Aussi privilégie-t-on toujours, lorsque c’est possible, une restauration. Même si c’est plus long, et donc plus coûteux. »
À l’heure où ces lignes seront imprimées, les deux AC Cobra 427 auront sans doute repris la route. Un moment attendu depuis deux ans par leur propriétaire, impatient d’en découdre à leur volant. Cédric, sellier-garnisseur, Tonio, tôlier-formeur, ainsi que Pierre et David, carrossiers-peintres, les collaborateurs de Thierry Painset, se seront attelés à de nouveaux chantiers. Pour le plus grand bonheur de quelques clients qui attendent, de longue date parfois, le tour de leur protégée.
D’ailleurs, à propos de clientèle, s’agit-il toujours des mêmes profils? « Non, bien heureusement! Notre passion pour la restauration automobile ne se cantonne pas à une marque ou un modèle. Du coup, on travaille pour des clients très différents. Je constate d’ailleurs une présence de plus en plus importante de femmes dans ce bastion longtemps masculin. De vraies passionnées pour certaines, d’autres souhaitant simplement faire perdurer un patrimoine familial à travers la restauration d’un véhicule transmis par la génération précédente. »
Aston Martin DB4, Mercedes 500K, Fiat 519B, De Tomaso Pantera, Porsche 356, Ferrari Daytona; la liste des restaurations égrène de prestigieuses références à même de faire rêver les passionnés les plus blasés… et d’attirer des acteurs peu recommandables. « Dans le secteur automobile, la restauration séduit de nombreux professionnels qui, malheureusement, ne possèdent pas toujours les compétences adéquates. Il n’est ainsi pas rare que des propriétaires, après avoir confié leur véhicule à l’un d’eux pour une restauration, déchantent et nous sollicitent. On doit bien souvent tout reprendre à zéro. »
Le marché de l’automobile ancienne motive jusqu’aux marques elles-mêmes qui, appâtées par un marché en constante progression, n’hésitent désormais plus à ouvrir des départements spécialisés dans l’entretien et la restauration de leur production historique.
Au vu du nombre de véhicules non restaurés, et de ceux mal restaurés, cette activité semble promise à un bel avenir. « Sans compter les voitures dont l’intérêt ou la valeur ne justifie pas forcément une intervention lourde, mais auxquelles leurs propriétaires sont attachés émotionnellement, et qui finiront sans doute par nous les confier. »
Avant de prendre sa retraite, Thierry Painset se plairait à oeuvrer sur une Bugatti des années 30. « La diversité des véhicules sur lesquels nous intervenons stimule notre passion. C’est à chaque fois un véritable challenge, du sur-mesure. Mais il faut bien avouer que certains chantiers exceptionnels, tel celui des AC Cobra 427, nous marquent particulièrement. Et je n’ai jamais travaillé sur une digne représentante de la marque de Molsheim », conclut-il, un sourire enfantin accroché au visage.