RESTAURATEUR DE PIERRES OLLAIRES


Benoît Felley | Valais


Jadis omniprésents dans les foyers valaisans, les fourneaux ont été remplacés dès les années 70 par de nouveaux moyens de chauffage. Pourtant, depuis l’apparition d’incertitudes sur le marché de l’énergie, leur cote s’envole. Mais le savoir-faire nécessaire à leur restauration s’avère désormais très rare.


Au coeur du village de Vissoie, dans le val d’Anniviers, un chalet aux façades de bois patiné par le temps et les intempéries résonne de coups sourds. Benoît Felley, arc-bouté au-dessus d’un pierre ollaire, tente à coups de masse d’en desceller les parois. Le problème? Comme souvent, le fourneau est encastré dans un mur intérieur, chauffant ainsi les deux espaces principaux du logement, la cuisine et la pièce à vivre. Ingénieux, mais rendant son démontage difficile.


Des opérations de ce type, l’artisan en pratique une quinzaine par an pour des clients. « Dans le cas présent, il s’agit à la fois de restaurer le poêle dont la pierre est par endroit fissurée et de remplacer le socle en bois ouvragé sur lequel il repose, pour des questions de sécurité », précise-t-il. Dès le démontage du fourneau terminé, Benoît Felley procède à l’analyse minutieuse de chaque pierre le composant.


Les faces internes, en contact direct avec le feu, peuvent en effet réserver quelques surprises. Malgré plus de 120 ans d’utilisation, le verdict du spécialiste s’avère positif. Après restauration, le vénérable ancêtre pourra sans peine repartir pour de nombreuses années de service.


La première étape consiste à colmater chaque fissure visible à l’aide d’un mélange de poudre de pierre ollaire et de colle à deux composants. « Lorsque l’on scie des pièces, on récupère précieusement la poussière de la coupe afin de pouvoir ensuite confectionner un mastic qui, une fois sec, se confond avec la matière de la pièce restaurée. » Au besoin, l’artisan patine même la zone réparée afin d’assurer à son intervention une totale invisibilité.


Il arrive aussi que certaines pierres, sous l’effet de la chaleur, se transforment par endroit en un véritable millefeuille. Des strates apparaissent, se détachant progressivement les unes des autres, fragilisant la pièce. L’artisan évalue alors s’il peut ou non conserver la matière d’origine. Lorsque la structure n’est pas complètement dégradée, il détache chaque feuillet, l’enduit de mastic et recompose l’épaisseur de la pierre.


« À mes yeux, il est toujours préférable de conserver les composants d’origine afin que le fourneau conserve son authenticité. Mais lorsque la matière se désagrège dans toute son épaisseur, son remplacement est inévitable. On cherche alors une pierre provenant de la même carrière que celle à remplacer, afin que la restauration soit cohérente », ajoute le spécialiste dont l’atelier regorge de pierres conservées à cet effet.


À voir oeuvrer Benoît Felley, le geste rapide et assuré, son expertise ne fait aucun doute. Pourtant, la formation initiale du Saxonain est tout autre. Avec ses apprentissages de cuisinier et de pâtissier-confiseur, il ne se destinait pas à perpétuer le savoir-faire de son grand-père. C’est plutôt la figure de Paul Bocuse, pape lyonnais de la cuisine des années 70, celles de son enfance, qui le faisait rêver.


Mais après quelques saisons d’hiver passées à enchaîner en station des journées de quatorze heures, travaillant l’été aux côtés de son grand-père, le jeune homme décide de se consacrer à sa passion: la restauration de pierres ollaires. « Mon aïeul fabriquait des fourneaux neufs à partir de pierre finlandaise. À l’époque, on ne parlait pas beaucoup de restauration, et il n’était pas rare que d’anciens poêles finissent en décharge. C’était un autre temps. »


Benoît Felley décide alors de se lancer de son côté, avec la ferme volonté de participer à la sauvegarde d’un patrimoine local qu’il juge précieux. Afin de parfaire son savoir-faire, il travaille alors successivement pour plusieurs artisans, aussi renommés qu’âgés. « Leur expertise, acquise au long d’une carrière entière dédiée aux pierres ollaires, était inestimable. Aujourd’hui encore, je bénéficie quotidiennement de leurs enseignements », glisse le quarantenaire, reconnaissant.


Depuis la fondation de son entreprise en 2006, sa passion pour les fourneaux n’a pas faibli. « La pierre ollaire est une matière extraordinaire! », s’exclame-t-il. Principalement composée de talc, de chlorite et de magnésie, cette roche typique de l’arc alpin notamment se distingue en effet par sa capacité à emmagasiner la chaleur et à la diffuser ensuite très lentement. Sans compter sa ductilité qui lui permet de se dilater sous l’effet de la chaleur sans jamais se rompre.


À l’époque où le travail était réalisé entièrement à la main, il n’était pas rare que les artisans travaillant ce matériau le fasse avec des outils de menuisiers. « Ce n’est évidemment plus le cas aujourd’hui, précise Benoît Felley. Mais avec ma scie circulaire et mon marteau à boucharder, il me serait impossible de m’attaquer à une pierre plus dure que la pierre ollaire. » C’est cette spécificité qui a permis d’ornementer parfois richement ces fourneaux valaisans.


Si l’artisan ne fabrique plus guère des poêles neufs, l’augmentation massive du prix de la pierre depuis quelques années étant rédhibitoire, il reste l’un des cinq derniers professionnels à proposer leur restauration et leur transformation sur le territoire cantonal. Car au-delà des affres du temps, les usages et les réglementations évoluant, l’intervention d’un spécialiste s’avère souvent indispensable pour qui souhaite maintenir fonctionnel un fourneau ancien.


Dans le cas du poêle de Vissoie, les propriétaires souhaitent une restauration simple, sans modification de la pièce. Il faut alors compter une journée pour son démontage, une deuxième pour sa remise en état et une troisième pour le remontage, le tout à deux artisans. « Dans le cas d’une transformation, lorsqu’il s’agit par exemple de créer une trappe pour charger le bois par l’avant et non par l’arrière du fourneau, il me faut travailler en atelier », indique le spécialiste.


Parfois, pas moins de 130 heures peuvent ainsi être nécessaires afin de redonner vie à un pierre ollaire fatigué. C’est d’ailleurs dans son atelier situé à Ardon que nous retrouvons Benoît Felley. Son cousin, l’architecte Corentin Besse, vient y découvrir son poêle récemment restauré.


« Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas pour le compte d’un client, mais pour mon propre logement que j’ai demandé à Benoît d’intervenir », indique le professionnel spécialisé dans l’écologie de la construction. Le pierre ollaire, moyen de chauffage aussi ancestral que rudimentaire, serait-il vraiment une solution d’avenir pour qu’un expert l’adopte lui aussi? « Sans aucun doute! », s’exclame-t-il.


À l’entendre, ce type de poêle combine de nombreux atouts. Le matériau de construction provenant de carrières locales, il n’implique pas de transport coûteux en énergie. Idem pour le combustible, issu des forêts environnantes, dont il faut rappeler la neutralité carbone. Chaque arbre en consomme en effet autant pour grandir que son bois en dégage lors de la combustion. Sans oublier bien sûr l’aspect patrimonial de ce type de chauffage, typique de la région.


« Les plus anciens exemplaires connus datent du début du 16e siècle », précise Benoît Felley. Avant d’ajouter, tout sourire: « Un pierre ollaire correctement entretenu et utilisé, c’est très efficace. Grâce à des parois de 8 à 15 cm d’épaisseur et une masse pouvant dépasser la tonne, l’inertie thermique avoisine 12 heures. Sans compter qu’il ne tombera jamais en panne et que sa durée de vie, pas impactée par l’obsolescence programmée, se compte en siècles. »


Seule contrainte, l’alimentation en bois manuelle, qu’il s’agit d’assurer deux fois par jour en cas de froid intense. Ce qui ne semble pas rebuter une clientèle qui se presse pour acquérir des pièces parfois très rares, tel ce fourneau dodécaèdre datant de 1640, récemment déniché par l’artisan. « J’ai installé des pièces dans tout le Valais, bien sûr, mais aussi au-delà des frontières cantonales. Vaud, Genève, et même jusqu’à… Sisteron! »


L’agenda de Benoît Felley témoigne du vif regain d’intérêt pour les pierres ollaires, avec des délais d’intervention qui dépassent largement l’année. Hausse du prix de l’énergie, volonté de maintenir un patrimoine local singulier, esthétique compatible avec des architectures intérieures modernes. Affichés à des prix allant de 8 à 20’000 francs pour des exemplaires entièrement restaurés et installés, les pierres ollaires n’ont pas dit leur dernier mot!

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