VITRAILLISTE


Fontannaz Isabelle | Valais

Dans son atelier de Vétroz, Isabelle Fontannaz conçoit, exécute et restaure des vitraux. Des compositions de verre découpé qui ornent des églises, mais aussi nombre de demeures privées. Tour d’horizon d’un savoir-faire ancestral, mais plus que jamais d’actualité.

Lorsqu’un professeur organise pour sa classe la visite de l’École du vitrail, jadis située à Sion, la collégienne fait la moue. Plutôt que d’arriver sur place à l’heure convenue, elle préfère d’ailleurs prolonger un moment passé avec des amies au bistro du coin. Isabelle Fontannaz a 20 ans et ignore qu’elle s’apprête à vivre un puissant choc artistique. « Jusque-là, je me voyais plutôt entreprendre des études de biologie », précise-t-elle.


Dès qu’elle aperçoit les réalisations des élèves exposées pour la présentation, le chatoiement du verre antique, elle ressent une très forte émotion. « La matière me semble d’autant plus vivante que les motifs ne sont pas religieux, alors même que je pensais le vitrail réservé aux églises. C’est un véritable coup de foudre. Je sais instantanément que j’ai trouvé ma voie et que je ferai de cet art mon métier », témoigne l’artisane, encore émue par le souvenir de cette révélation.


Installée derrière sa table de travail, la Vétrozaine met la dernière main au dessin préparatoire de sa prochaine oeuvre. Les formes organiques s’entremêlent, les couleurs douces dialoguent en silence. Apparaissent ici et là quelques éléments inspirés par la nature environnant son atelier - feuilles évanescentes, grappes de sureau violines, tiges -, entourés de lignes sombres qui ondulent entre des à-plats polychromes.


La confection du vitrail va pouvoir commencer: l’artiste laisse alors place à l’artisane. Isabelle Fontannaz s’empare d’une paire de ciseaux à calibrer équipée de trois lames, la découpe correspondant à la largeur intérieure du profilé de plomb sertissant le verre. À chaque pièce composant le vitrail correspond ainsi un chablon en carton. Chablon guidant le diamant ou la roulette, lorsque l’épaisseur du matériau l’impose, lors de l’étape de la coupe.


« J’utilise beaucoup le verre antique soufflé bouche. La raison est simple: contrairement à son pendant industriel, il comporte de petites bulles et de très fines lignes, appelées « cheveux d’ange ». Avec les jeux de lumière, ces irrégularités lui confèrent une vie et un éclat uniques. »


Viennent ensuite, pour autant que le projet le nécessite, les étapes de peinture et de « fusing ». Ce dernier procédé consiste à ajouter à la pièce, par empilement, des particules de verre fusionnées par cuisson à haute température. Des opérations qui nécessitent une grande minutie et beaucoup d’habileté. Au moindre empressement en effet, le verre se fend et casse. « Pour moi, c’est une forme de méditation », précise la quinquagénaire tout sourire.


Une fois le tressage de plomb sinuant entre les différents fragments de verre réalisé, Isabelle Fontannaz, son rabat-plomb bien en main, en écrase les « ailes » de manière à sertir chaque morceau du puzzle. Les différentes sections de métal peuvent alors être soudées entre elles, au recto et au verso de l’oeuvre, afin de composer le réseau de plomb du vitrail, véritable ossature lui conférant sa rigidité. 


L’artisane valaisanne peut enfin contempler sa réalisation assemblée à la lumière du jour. « Je ne réalise que des pièces uniques; c’est par conséquent toujours émouvant, après de nombreux jours de travail, de découvrir le résultat final. » Même s’il lui faudra encore, à l’aide d’une pâte de sa fabrication, mastiquer patiemment son oeuvre de manière à y sceller chacune des pièces de verre la composant.


Pas moins de dix jours s’avèrent nécessaires pour produire une oeuvre d’une surface inférieure à un mètre carré. On comprend dès lors mieux l’ampleur du travail pour réaliser des vitraux de grande taille, tels ceux ornant certains bâtiments religieux. « C’est une tâche titanesque. À l’époque de leur fabrication, la notion de temps n’était bien sûr pas celle d’aujourd’hui, et la profession comptait de très nombreux artisans. »


En Suisse romande, moins de dix vitraillistes sont en activité actuellement. Les quelques jeunes intéressés peinent à trouver une place d’apprentissage, alors que les portes de l’école du vitrail, un établissement privé, restent inaccessibles pour ceux qui n’en ont pas les moyens financiers. « La situation s’avère inquiétante. Le pays dispose d’un patrimoine important qu’il s’agit d’entretenir, faute de quoi il se détériorera de manière irréversible. »


Isabelle Fontannaz répond fréquemment aux sollicitations de paroisses dont les bâtiments nécessitent une restauration. À l’instar de celle d’Ardon, qui compte une église ornée de vitraux datant de 1892. Les fenêtres basses ont pu être descellées et travaillées en atelier, alors que celles du haut ont nécessité une intervention sur site. Un chantier d’envergure qui a mobilisé plusieurs professionnels durant trois ans.


Après une grande restauration de ce type, qui voit les joints en mastic refaits à neuf et les pièces de verre manquantes remplacées, les vitraux ne nécessitent pas d’intervention majeure avant 50 ans environ. « Compte tenu de la fréquence d’intervention rare, il est difficile pour un artisan de se positionner sur cette seule activité de restauration. L’essentiel de mon travail s’articule ainsi autour de commandes ou de réalisations à destination de privés. »


Si le coût de réfection des vitraux d’une église peut s’avérer parfois important, il faut compter de 2 et 6’000 francs par mètre carré pour une réalisation sur mesure, en fonction de la complexité de l’oeuvre. « Le vitrail reste un art accessible à beaucoup, malgré le nombre d’heures que sa conception et sa fabrication nécessitent. De plus, ce savoir-faire s’applique aisément à des styles très différents. » De quoi espérer le voir un jour, à nouveau, prospérer en pleine lumière.


Enfant, Isabelle Fontannaz devait assister à la messe dominicale. Coincée entre le choeur dans lequel chantait son père et l’organiste afin qu’elle se tienne sage, il lui arrivait de s’échapper pour rejoindre la chaire. De là, elle contemplait les reflets colorés des vitraux dans les chevelures de l’assistance. « Ce n’est pas l’origine de mon attrait pour cette technique, mais cette expérience m’a sans doute sensibilisée au jeu chromatique subtil qui fait tout son intérêt. »


De quoi confirmer, si besoin était, qu’il n’y a pas d’âge pour apprécier l’art du vitrail.

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